La bibliothèque du Muséum d’Histoire Naturelle de Nantes conserve des milliers d’ouvrages qui reflètent l’évolution de la pensée scientifique depuis plusieurs siècles. Les plus anciens remontent au 16ème siècle, époque à laquelle les premiers traités d’Histoire Naturelle faisant référence en Europe apparaissent.
Des ouvrages aussi connus que « L’Histoire entière des poissons » de Guillaume Rondelet (1507/1556), médecin à Montpellier (plus connu sous le nom de Rondibilis attribué par Rabelais) ou « La nature et diversité des poissons avec leurs pourtraicts » de Pierre Belon du Mans (1517/1564) sont présents dans cette bibliothèque.
Cétacé scolopendre
extrait de l'ouvrage de Guillaume Rondelet : "L'histoire entière des poissons", 1554
L'Ouldre ou grand marsouin
extrait de l'ouvrage de Pierre Belon : "La nature et diversité des poissons...", 1555
Les « aquatilia » (animaux aquatiques) y sont décrits de manière parfois confuse à tel point que les faits confinent parfois au légendaire avec par exemple la cétacé scolopendre, mais parfois se fondent sur de vraies observations grâce aux prises de pêcheurs de l’époque.
Ainsi la conscience du regroupement artificiel avec les poissons est nette chez Rondelet :
« Sous la toile du ventre toutes les parties qui sont pour la nourriture et pour la génération, sont faites plus comme celles des bêtes terrestres à quatre pieds, que comme celles des poissons »
« Au ventre plus haut sont les poumons »
Ces ouvrages gardent un côté pittoresque colportant jusqu’à des temps récents des noms comme l’ouldre.
Ces ouvrages ont le grand avantage d’être écrits en français, phénomène plutôt rare pour l’époque où le latin s’est imposé comme la langue véhiculaire.
L’ouvrage d’Aldrovandi (1522/1605) « De cetis et piscibus » est un bon exemple de l’emploi d’une langue réservée avant tout à une élite parfois sociale mais surtout intellectuelle et d’inspiration théologique.
L’iconographie issue de gravures sur cuivre révèle selon les dessinateurs un style naïf très éloigné de la réalité, ou naturaliste basé sur des observations de terrain.
Balaena
extrait de l'ouvrage d'Aldrovandi : "De cetis et piscibus", 1613
Au 18ème siècle émerge un esprit de conquête intellectuelle qui cherche à s’affranchir d’une part de la tutelle ecclésiastique et d’autre part de la tutelle royale. C’est à une véritable effusion de la pensée que nous assistons. La philosophie et la littérature connaissent un renouveau dans toute l’Europe. La science suit le même mouvement et reste étroitement liée à la philosophie.
La bibliothèque conserve de nombreux ouvrages issus de ce renouveau scientifique, notamment de multiples éditions du « Systema Naturae » de Linné (1707/1778), dont la première édition remonte à 1735, la dixième édition (1758) servant de référence à la nomenclature du vivant (c’est la première fois que les cétacés sont rattachés au groupe des mammifères). Il est par ailleurs indispensable de mentionner « L’Histoire naturelle, générale et particulière » de Georges Leclerc de Buffon (1707 / 1788).
Phoque à ventre blanc
extrait de l'ouvrage de Buffon :
"L'histoire naturelle, générale et particulière ", 1787
Le 18ème siècle reste ainsi un siècle d’émerveillement face aux nombreux spécimens rapportés des contrées étrangères, mais également un siècle où se renouvelle profondément la philosophie de la Nature.
Des auteurs comme l’Abbé Bonnaterre (1752/1804) et Lacépède (1756/1825) concourent à l’édition de sommes encyclopédiques. Comment ne pas citer l’apport essentiel du premier dans le tome de l’ « Encyclopédie Méthodique consacré à la cétologie » et l’effort méritoire du second dans son « Histoire naturelle des cétacés » ?
Le physale cylindrique
extrait de l'ouvrage de Lacépède : " Histoire naturelle des cétacés ", 1839
Le 19ème siècle va systématiser les voyages portant au pinacle les hommes chargés de ces circumnavigations. Ces campagnes océanographiques mais également ethnologiques rapportent en Europe un matériel d’étude qui va contribuer à enrichir les collections du Muséum national mais également des muséums de province. Des livres richement illustrés vont permettre de diffuser les études entreprises sur cette myriade d’échantillons.
Le Muséum de Nantes en conserve quelques-uns, dont on peut citer quelques titres : « Voyage au Pôle Sud et dans l’Océanie sur les corvettes l’Astrolabe et la Zélée pendant les années 1837, 1838, 1839, 1840 » de Dumont d’Urville (1790/1842), « Illustrations of Indian Zoology chieffly selected from the collection of Major general Hardwicke » de John Edward Gray (1800/1875).
Le 19ème siècle est aussi le triomphe de l’anatomie comparée avec des ouvrages tels que « Les recherches sur les ossements fossiles » de Georges Cuvier (1769/1832) et le « Recueil de planches pour servir aux observations anatomiques sur la structure intérieure et le squelette de cétacés » de Petrus Camper (1722/1789) qui initie et organise la transition entre les deux siècles.
Les bases de la science moderne sont alors en train de se former sur des bases solides, celles évidemment qui sont le plus accessibles à l’observation et à la perspicacité des savants amateurs et officiels.
Balenoptère Rorqual
extrait de l'ouvrage de Charles d'Orbigny :
" Dictionnaire universel d'Histoire Naturelle ", 1849
Plataniste du Gange
extrait de l'ouvrage de John Edward Gray:
" Illustrations of Indian Zoology chieffly..", 1834
Partie du crâne de Dauphin vulgaire, en couleurs,
pour faire connaître la jonction des os
extrait de l'ouvrage de Petrus Camper : " Recueil de
planches pour servir aux observations anatomiques", 1820
Durant le 19ème siècle, la constitution de l’enseignement évolue largement. Avec la création des lycées, des grandes écoles et de nouvelles universités, une nouvelle demande de manuels apparaît, bien que la population y ayant accès soit assez réduite, entendons par là qu’elle ne concerne que certains pans de la bourgeoisie.
Les dictionnaires d’histoire naturelle se multiplient également, œuvres collectives qui reflètent la science d’un temps.
Il est ainsi possible de citer quelques noms d’ouvrages présents dans la bibliothèque : le « Dictionnaire universel d’Histoire naturelle » dirigé par Charles d’Orbigny (1770/1856) ou les « Résumés d’Histoire naturelle » de Nicolas de Meissas (1806/1883)
Parallèlement à ces genres d’éditions, paraissent de plus en plus des écrits rendant compte des observations et des réflexions d’hommes ne fréquentant pas les cénacles parisiens : médecins de campagne, pharmaciens, mais aussi avocats, membres de sociétés savantes issus des anciennes académies de province. Leur talent est incontestable et ce serait leur faire du tort que de ne pas reconnaître l’apport inestimable qu’ils firent à la science d’alors.
Dauphin à tête ronde et Dauphin de Risso
extrait de l'ouvrage d'Antoine Risso : " Histoire naturelle des principales productions de l'Europe méridionale... ", 1826
Pièces ostéologiques de Pseudorca
extrait de l'ouvrage de Pierre Joseph Van Beneden et Paul Gervais : " Ostéographie des cétacés vivants et fossiles... ", 1868-1879
Antoine Risso (1777/1845), pharmacien niçois n’était-il pas considéré comme l’un des meilleurs naturalistes de son temps par Cuvier (« si seulement il eut été parisien », dixit le grand anatomiste).
Il est à ce propos à l’origine de la découverte d’une nouvelle espèce de delphinidé, le dauphin de Risso (Grampus griseus) mentionné dans son ouvrage « Histoire naturelle des principales productions de l’Europe méridionale et particulièrement de celles des environs ».
L’iconographie est très inégale, depuis la multitude de petites gravures sur bois des livres grands publics comme le « Cours élémentaire d’Histoire naturelle » d’Alphonse Milne Edwards (1835/1900) jusqu’aux magnifiques lithographies (procédé inventé au début du 19ème siècle) colorées du « Voyage autour du Monde sur la corvette de sa majesté, La Coquille, pendant les années 1822, 1823, 1824 et 1825 » paru sous la direction Louis Isidore Duperrey (1786/1865) ou celles monochromes de « Ostéographie des cétacés vivants et fossiles comprenant la description et l'iconographie du squelette et du système dentaire de ces animaux » de Pierre Joseph Van Beneden (1809/1894) et Paul Gervais (1816/1879) qui feront longtemps référence.
Le 18ème siècle, quant à lui, reste confiné aux gravures sur cuivre, aboutissant néanmoins à de très belles réussites souvent monochromes telles les planches de Charles Sonnini de Manoncourt (1751/1812) dans « l’Histoire naturelle générale et particulière des cétacés » insérée dans une nouvelle édition de « l’Histoire naturelle générale et particulière » de Buffon.
La classification change également avec plus ou moins de justesse, depuis la reconnaissance des cétacés comme groupe de mammifères par Linné, la première distinction des cétacés à dents (odontocètes) et cétacés à fanons (mysticètes) par Lacépède, mais également celle opérée par Buffon entre les phoques dépourvus d’oreilles (phoques au sens strict) et les phoques à oreilles (otaries).
Les voyages de découverte alliés aux difficultés d’observation vont contribuer à multiplier les synonymies de noms d’espèces et il faudra attendre la fin du 19ème siècle pour avoir une vue correcte des principaux groupes de mammifères marins, connaissance déjà bien étayée dans l’ouvrage dirigée par Louis Joubin du Museum de Paris : « Expédition Antarctique française (1903-1905) commandée par le Dr Jean Charcot ».
Phoque de Weddell sur la plage de Wandel
extrait de l'ouvrage de Louis Joubin : " Expédition antarctique française commandée par le Dr Jean Charcot ", 1905